Ordo Fratrum Minorum Capuccinorum IT

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updated 4:51 PM UTC, Apr 18, 2024

Entretien avec fr. Roberto Genuin

Cet entretien avec fr. Roberto Genuin, ministre général des frères mineurs capucins, a été réalisé par les frères de la province d’Espagne en août 2021.

Nous remercions les frères de nous avoir partagé cet entretien.

Le texte est une transcription de l’entretien enregistré par vidéo. Transcription par Tarcisio Mascia OFMCap.

https://www.hermanoscapuchinos.org/video/96/entrevista-a-fray-roberto-genuin

Invitation à se présenter.

Je suis le Frère Roberto Genuin (il ajoute en souriant : « notez qu’à "Genuin", il ne manque qu’un "o" pour être parfait ! » [en italien, "genuino" signifie "authentique, véritable", NdT]), ministre général des frères mineurs capucins. Je suis né dans les Dolomites – vous savez tous où se trouvent les Dolomites : en Italie du Nord, en Vénétie, dans les montagnes – dans un petit village de montagne.

Déjà à l’école primaire était apparue en moi l’idée que je deviendrais prêtre. Puis j’ai rencontré les Frères, je suis entré chez les Frères, je suis devenu religieux, prêtre ; j’ai fait toutes mes années de séminaire ; depuis l’âge du collège j’ai toujours été dans le cursus de formation des frères capucins de la Vénétie.

Après mon ordination, j’ai été à mon tour responsable du petit séminaire pendant quatre ou cinq ans ; puis on m’a envoyé à Rome pour étudier en Utroque Iure (droit canon et droit civil). Ensuite, j’ai été gardien à Venise, puis neuf ans vicaire provincial et neuf ans provincial ; puis j’ai eu une année d’intervalle dans laquelle j’étais enfin en paix… Mais au lieu de cela ils m’ont élu ministre général de l’Ordre ! Je suis ministre général de l’Ordre depuis trois ans.

Comment s'est passée votre élection comme ministre général ?

A vrai dire, lors de l’élection comme Général, je me suis surpris moi-même, j’étais très serein. Notre chance, c’est que nous n’allons pas à la recherche des hautes charges. Nous essayons de faire le mieux que nous pouvons, là où nous sommes, puis nous obéissons à l’Esprit Saint quand il suggère. J’étais donc très serein. Si les confrères me voulaient là, si le Seigneur me voulait là, je m’y serais rendu disponible avec mes dons, mais sans préoccupation ; ce n’est pas moi qui dirige l’Ordre, qui dirige une partie de l’Église, non, non, ... c’est notre Seigneur ! Certes, le Seigneur demande notre collaboration. Mais tout a été très paisible. Peut-être aussi à cause de toute l’expérience passée ; car l’expérience de la responsabilité aide sans aucun doute à développer une capacité d’endurance, une disposition à voir que même dans le cadre d’une si lourde responsabilité, nous pouvons y arriver, sans grande difficulté, avec l’aide du Seigneur et avec l’aide des frères, car nous sommes nombreux à travailler ensemble.

Quels défis l’ordre des capucins doit-il relever aujourd’hui ?

C’est un sexennat dont vous pouvez imaginer la grande difficulté, du fait que mon service comme ministre général est très limité par l’impossibilité répétée d’aller visiter les frères. J’ai pu le faire pendant un an et demi, avant la pandémie, et après cela j’ai été presque complètement bloqué. Par conséquent toutes les initiatives au niveau mondial, de l’Ordre, des zones, ont été continuellement reportées : cela crée de nombreuses difficultés. Mais tout de même, je le répète, c’est le Seigneur qui est à l’œuvre ! Nous essayons d’animer un peu par internet ce grand ordre, qui présente une grande diversité. Nous sommes tous capucins, mais la culture est très différente : Afrique, Asie, Amérique du Sud, Amérique du Nord, Europe. Intéressant. Une grande vivacité. Mais dans mon service je suis sans aucun doute un peu limité, car ce n’est pas la même chose de connaître les frères ou les réalités par des rapports écrits et de les connaître par expérience directe, par contact direct. Espérons que cela s’ouvre à nouveau peu à peu… Maintenant je suis parvenu à me rendre en Espagne… Cela aussi a été reporté plusieurs fois… Le peu qu’on peut faire, on le fait volontiers.

C’est un bel Ordre que le nôtre, ...il est immense !

Comment l’Ordre fait-il face au défi des vocations ?

Je dirais, avant tout aux frères européens qui vivent un moment de grande raréfaction des vocations, je dirais que la main du Seigneur, le bras du Seigneur ne s’est pas raccourci. Le Seigneur sait comment nous conduire. Cela dit, je dirais aussi aux Européens : « Mettez-vous à l’œuvre ! » Il n’est pas vrai que les gens sont insensibles au message de Dieu, à l’appel de Dieu. Le problème, c’est qu’on ne trouve peut-être pas toujours les bonnes formules pour être efficaces auprès des jeunes d’aujourd’hui. Ici, il faut travailler de toute son âme, sans se décourager. Quand on s’y attend le moins, le Seigneur fait des choses extraordinaires, suscitant des vocations même là où on ne le penserait pas. Même si c’est une période qui humainement met les frères en difficulté, c’est clair ! Nous sommes ici devant une baisse considérable. Mais alors, il faut aussi garder une vision globale de l’Ordre, qui nous permet de voir que, tandis que nous diminuons ici, dans d’autres zones cependant nous sommes en croissance, parfois même très accentuée. Au cours de l’histoire, il y a eu également de nombreuses variations ici en Europe, y compris tragiques, comme lors des suppressions des ordres religieux. Les ordres ont toujours repris vie par la suite. Le chemin que nous empruntons est entre les mains de Dieu plus qu’entre les nôtres. Cela nous donne beaucoup de force et beaucoup de sérénité. Les choses n’iront pas bien parce que nous serons nombreux, les choses iront bien, et de mieux en mieux, si nous sommes fidèles à notre vocation ; avec plus d’authenticité !

Que signifie être capucin aujourd’hui ?

Qui sait combien de fois ces questions ont été posées. Je voudrais me limiter simplement à dire quelque chose en considérant le contexte actuel dans lequel nous avons été obligés à être isolés, très isolés. Nous, capucins, qui expérimentons la vie et la spiritualité de saint François, avons une force énorme dans la fraternité, que nous-mêmes devons redécouvrir dans toute son ampleur. Cela signifie ouverture, cela signifie accueil de toute personne, cela signifie simplicité de relation. Je crois que c’est une autre de nos forces, tout-à-fait typique des capucins, que cette simplicité dans la relation. Si nous parvenons à retrouver une relation cordiale, mais vraiment cordiale, simple avec les gens, nous pouvons entrer partout, chez les plus petits, les plus pauvres, les plus marginalisés, jusqu’auprès des plus grands sur la surface de la Terre. Avec une humble simplicité.

Je dirais ces deux choses ; évidemment, ce n’est pas tout, mais à mon avis ces deux aspects sont vraiment importants aujourd’hui. Offrons d’une part le témoignage que l’on peut vivre en harmonie même avec des personnes de différents pays, de différentes origines, de différentes cultures, des personnes porteuses de dons différents : c’est un don de Dieu. D’autre part, montrons notre capacité à être parmi les gens d’une manière simple. Ce sont, je crois, nos deux plus grandes forces aujourd’hui.

Comment l’Ordre a-t-il vécu la pandémie ?

Je réside à Rome, dans une grande fraternité : nous sommes presque quarante. Ce fut intéressant de voir que bien que nous soyons tous religieux, tous capucins, cependant les réactions devant la pandémie dépendent beaucoup des personnes : elles ne sont pas toutes identiques. Cela a suscité beaucoup d’inquiétude dans l’Ordre, car nombre de frères ont été infectés et un bon nombre aussi sont décédés (presque une centaine). Nous sommes présents dans toutes les régions de la terre et cela est donc compréhensible… Ce que cela a apporté de bien à mon avis, c’est une réflexion sur la façon de correspondre au Seigneur aujourd’hui. Par exemple cet entretien : peut-être avons-nous besoin d’apprendre à mieux utiliser les moyens de communication de ce genre. Je pense que ce que nous avons pu animer, c’est à travers les réseaux sociaux, les contacts virtuels. Ils ne remplaceront jamais la relation personnelle, mais nous avons appris qu’ils facilitent dans certains cas la rencontre, le partage et le soutien mutuel dans les difficultés. Je dirais ces deux choses. Ensuite, je l’ai écrit aussi, j’ai trouvé cela très beau : dans différentes régions du monde, où nous sommes présents, le système public n’a aidé en rien, vraiment rien ; dans les villages, rien du tout – Covid ou pas Covid, personne ne venait. Dans la mesure du possible, nous avons aidé plusieurs projets de petites fraternités qui se rendaient dans les villages pour apporter le minimum nécessaire, un peu de nourriture, un peu de savon, quelques masques… C’est très beau de voir tourner les photos de ces frères qui malgré la pandémie sont au milieu des gens pour distribuer tout cela ! Une petite, petite goutte, car nous ne sommes pas non plus une puissance ; nous sommes nombreux, mais… C’est très beau. Si la pandémie nous avait porté seulement à rendre ce genre de services si humbles en faveur des plus petits, ceux que personne ne regarde, ce serait peu, mais vaudrait tellement aux yeux de Dieu ! Il y a eu ainsi beaucoup d’initiatives en ce sens dans nos fraternités, vraiment beaucoup.

Les réseaux sociaux sont-ils un outil d’évangélisation ?

Un excellent moyen, probablement à utiliser davantage à l’avenir, avec quelques précautions ; ils ne remplacent jamais la relation personnelle, cela ne fait aucun doute ! Mais il y a eu beaucoup d’initiatives intéressantes : pour se rapprocher des gens, pour une prière du matin, pour prendre des nouvelles, pour retransmettre des célébrations, quand c’était possible, pour transmettre la catéchèse… Beaucoup se sont mis à l’œuvre de bien des manières. J’en ai été content, je ne pouvais faire autrement…

Que diriez-vous à ceux qui verront cette interview ?

Je dirais que notre Seigneur est un Dieu bon, qui rend la vie heureuse. C’est ce que je dirais de tout mon cœur... n’ayez pas peur ! Le Seigneur rend la vie heureuse ! Ce qui ne veut pas dire une vie sans problèmes, sans difficultés, sans sacrifices, - une vie sans cela, ça n’existe pas – mais dans cette vie qui est la nôtre, et qui est un voyage parfois fatiguant, Dieu nous procure tant d’énergie, tant de simplicité. Il offre la possibilité, dans l’harmonie avec Lui, de vivre sereinement malgré tout, même face aux difficultés les plus graves. C’est cela que je dirais !

Une question sur la formation

Au dernier chapitre général, nous avons eu l’approbation de la Ratio Formationis Ordinis, pour tout l’Ordre. Elle met en évidence les critères généraux qui nous représentent, les valeurs qui nous caractérisent, et comment essayer de les mettre en œuvre dans le contexte du monde d’aujourd’hui. Je répéterai toujours que c’est un document formidable, non seulement parce qu’il a été construit avec la participation la plus large possible de tous les frères, mais aussi parce que précisément dans les mots qu’il utilise, dans la manière dont il exprime les valeurs, il est nôtre ! Il exprime vraiment notre sensibilité.

Maintenant, quel est le grand défi ? En plus d’avoir des indications assez concrètes, quoique générales, le grand défi est de traduire ces mêmes valeurs au niveau des différentes cultures ; non seulement traduire les mêmes valeurs mais aussi dans la même modalité. Parce que la modalité elle-même véhicule une valeur ! C’est là la grande force, selon moi, de notre Ratio. Qui sait combien de temps cela prendra, mais déjà dans le peu de circonscriptions que j’ai pu visiter, j’entends que tel ou tel point, peut sembler éloignés de la vie menée aujourd’hui... Alors je dis : « Prenez la Ratio, réfléchissez-y ! Essayez de la traduire dans cette culture-là : comment traduire le respect de la famille, le rapport à l’argent... » On ne l’a pas encore reçue entièrement, bien évidemment. Ce sont des choses qui définissent une identité, laquelle doit devenir concrète. Et cela ne se fait pas en quelques années.

Avoir élaboré une telle Ratio représente un grand travail, il est clair que maintenant, peu à peu... Il faudra accompagner... Parce cela répond à un besoin. Il y a peu à faire ! Si nous parvenons à la traduire, nous donnerons une forte vitalité à l’Ordre... Vraiment forte ! C’est cela que le Seigneur nous demande aujourd’hui.

Comment se nourrit le sentiment d’appartenance à l’Ordre ?

Je ne sais pas si ma réponse conviendra, mais je répondrais ainsi : je n’aime pas trop, pour notre sensibilité, je n’aime pas l’idée de se « faire de la publicité », de « se montrer pour attirer » : nous avons beaucoup de bonnes choses, beaucoup ; mais habituellement, nous ne les mettons pas sur un piédestal pour dire que nous sommes bons. Alors, ce qui vaut le plus, et nous avons quelques expériences intéressantes à cet égard, reste sans aucun doute le témoignage, en toute simplicité. Je peux parler de vie fraternelle, je peux parler de relations avec les gens, mais après si je reste toujours enfermé chez moi... Je peux en parler très bien, mais cela manque d’efficacité. D’un autre côté, il ne faut pas non plus avoir peur de proposer ; et dans ce sens de dire : « viens, essaie… ». Le Seigneur appelle, mais il appelle aussi par le fait que certains d’entre nous passent à l’action pour dire : « viens et essaie ». Voici donc les deux aspects. Certainement pas vouloir paraître qui sait quoi, cela ne nous intéresse pas. Nous ne vivons pas pour cela. Cherchons à bien faire les choses. Parfois on se trompe, mais il y a aussi de très bonnes réactions. En revanche, une sorte de méfiance apparaît dans certaines régions d’Europe, comme pour dire « si le Seigneur le veut, il s’en sortira… restons tranquilles ». Ce n’est pas ainsi que le Seigneur agit ! Le Seigneur agit, sans nul doute, mais demande notre collaboration. Alors appeler et préparer des parcours, réfléchir aux offres que nous faisons, etc., c’est notre rôle et nous devons le jouer à notre manière.

Comment les frères aînés sont-ils perçus au sein de l’Ordre ?

Hier soir, au dîner, nous discutions de la réalité ici en Espagne... Beaucoup d’anciens... et d’un article du Statut de la Province, en faisant référence au discours : « oui mais les jeunes…, oui mais les vieux… ! » Ma propre expérience m’a donné de vivre dans de nombreuses fraternités, parfois avec beaucoup d’anciens ; j’ai toujours dit : c’est une richesse infinie ! J’ai toujours du mal à comprendre qu’il puisse y avoir des divisions : parce que les jeunes ont une sensibilité... Les anciens une autre... Bien sûr qu’au fur et à mesure que le temps passe nous sommes différents, mais c’est une richesse. Vraiment, dans ma vie j’y ai trouvé une grande richesse... Avant d’être Général, j’étais gardien dans une fraternité où il y avait vingt-cinq frères, avec une moyenne d’âge de 80,5 ans… Je ne me suis jamais senti aussi bien ! Ils m’ont rendu d’ailleurs bien des services, ... bien sûr des services qu’on peut rendre à quatre-vingts ans, ou plus... mais ils m’ont rendu tant de ces beaux services... Je n’hésite pas à le dire : « continuez ainsi tant que vous pourrez, aussi longtemps que vous y parviendrez ! » Alors qu’ont-ils à donner ? Ils donnent énormément !

Quand je dis que le témoignage est ce qui vaut le plus... Je ne sais pas dans la vie des autres, mais dans ma vie personnelle, dans la croissance de ma vocation aussi, le témoignage de frères aînés qui sont solides dans certaines valeurs, avec leurs limites sans doute, c’est peut-être ce qui m’a formé plus que tous les formateurs que j’ai eu dans ma vie. Vous voyez ce que je veux dire ? Parce que les formateurs disent, ils parlent, mais après, ces paroles doivent se concrétiser dans la vie concrète de la personne.

Dernière modification le mercredi, 02 février 2022 23:30