Ordo Fratrum Minorum Capuccinorum IT

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updated 4:51 PM UTC, Apr 18, 2024

fr. Andrew Anil Sequeira OFMCap

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Chapitre 10 des Constitutions

Notre vie en obeissance

frère Andrew Anil Sequeira OFMCap

S’il y a bien aujourd’hui une chose qui est dépréciée, c’est sans doute « l’obéissance », alors même que dans le cours ordinaire des choses, la vie en obéissance est tout à fait évidente. Elle est présente dans la pédagogie, dans la législation, dans les relations familiales, sociétales et hiérarchiques, dans la vie militaire, etc. Pourtant, il existe des raisons notables de ne pas apprécier l’obéissance et il est bon de le relever en tout premier lieu. L’une des raisons de cette réticence à en entendre parler ou en à vivre est indiscutablement l’accent considérable mis par le passé sur l’autorité et les figures d’autorité.

Autrefois, toute autorité était présentée comme venant directement de Dieu et les figures d’autorité étaient supposées tenir la place de Dieu et communiquer sa volonté. L’obéissance à une telle autorité était un « devoir sacré » qu’en aucun cas on aurait manqué d’accomplir pour le restant de sa vie. Le fonctionnement de l’autorité était généralement de nature monarchique ou hiérarchique, toutes les décisions étant prises par les monarques ou les « supérieurs », qui avaient toujours le dernier mot. L’autorité rendait des verdicts et des jugements définitifs, promulguait des décrets et des directives et ceux qui étaient placés sous cette autorité, appelés « sujets », n’avaient rien ou presque rien à faire, sinon entendre et obéir à l’« autorité légitime ». Ils devaient se conformer aux ordres, même lorsque les jugements étaient erronés et les directives inefficaces.

Aujourd’hui au contraire, l’autorité fonctionne de manière plus démocratique que monarchique, principalement en raison des tendances personnalistes dominantes. Les individus se comprennent comme des personnes spécifiquement dotées de liberté personnelle, d’autonomie, d’indépendance, de coresponsabilité, etc. Ils chérissent ces attributs comme des dons reçus de Dieu, et de ce fait, vitaux et caractéristiques de leur dignité humaine. En conséquence, tout ce qui est considéré comme contrôlant ou restreignant l’exercice de ces prérogatives personnelles est désapprouvé catégoriquement et instinctivement rejeté. Ces attributs nouvellement découverts de la liberté et de l’autonomie personnelles sont extrêmement mis en valeur, revendiqués avec zèle et jalousement protégés.

La liberté personnelle est en effet considérée comme un attribut caractéristique de l’être humain, et réputée susciter des expressions élevées de créativité, ainsi qu’une originalité de pensée, une productivité accrue et une qualité de vie globalement satisfaisante sur le plan personnel. Bien sûr, l’idée de liberté est en elle-même assez complexe, et la valeur de la liberté ne peut être comprise et appréciée que par ceux qui ont une compréhension profonde de la nature humaine. Pourtant, il est indéniable que même les gens qui n’ont pas été initiés à cette longue tradition de liberté, n’ont aucun problème à comprendre et à mettre en œuvre les méthodes démocratiques de notre société.

Du regard personnaliste que l’homme pose sur lui-même, découle également la valorisation d’un « modèle participatif » de gouvernance, surtout quand il s’agit de la réalisation du bien commun. Ce principe de participation à la gouvernance n’est pas seulement prisé, mais presque considéré comme allant de soi, contrairement au style de fonctionnement de type monarchique traditionnel et à sa manière d’édicter des normes de manière unilatérale. Dans la résolution des problèmes, la décision peut être prise aussi bien directement qu’indirectement par l’intermédiaire de représentants personnellement élus. Néanmoins, on souhaite de toute manière générer les normes par le bas plutôt que de les recevoir d’en haut. Tous voudraient avoir leur mot à dire sur les choses qui concernent leur vie personnelle. En bref, le modèle participatif est basé sur le principe que « ce qui concerne tout le monde, doit être décidé par tous » ou « ce qui implique toutes les personnes, les personnes elles-mêmes doivent le résoudre ensemble ».

Depuis l’époque du concile Vatican II, c’est donc cette nouvelle approche qui est supposée comme principe de toute réflexion sur l’autorité ou l’obéissance. Cela se reflète dans les documents et les instructions de l’Église et, naturellement, on le trouve aussi dans la formulation de nos propres constitutions.

Ainsi, le chapitre de nos constitutions concernant l’obéissance, après une introduction générale énonçant les bases théologiques, spirituelles et franciscaines, encourage vivement les frères à vivre leur vie d’obéissance dans la liberté. Contrairement aux anciennes constitutions, les nouvelles n’hésitent pas à parler de l’autorité comme un « service pastoral » confié aux ministres et aux gardiens et de l’obéissance comme une « réponse libre et aimante » des frères. Il importe donc d’identifier ce changement de perspective, comprendre ce qu’est réellement « l’autorité chrétienne » et ce que signifie « l’obéissance de charité » (Const. 100,4 ; 166,3 ; etc.) du frère dans la pratique.

A. AUTORITE CHRETIENNE

Sans exagération, on peut dire qu’après Vatican II le concept d’autorité a subi dans l’Église un profond changement tant dans sa compréhension que dans sa pratique. Le temps était révolu où des ministres et des gardiens exerçant l’autorité sous le nom de « supérieurs » pouvaient exercer un pouvoir autocratique en dominant sur les autres frères, et les désigner comme leurs « sujets » ! La terminologie « supérieur » et « sujet », comme on le sait, était très liée au style monarchique d’autorité. Elle n’est plus reçue très favorablement de nos jours en notre ère démocratique. Nos constitutions, bien qu’elles continuent à utiliser cette terminologie, offrent suffisamment de clarifications concernant les notions d’autorité chrétienne et d’obéissance (Const. 159).

La raison fondamentale de l’exercice de l’autorité dans toute société ou institution humaine est la nécessité de maintenir l’ordre et de promouvoir le « bien commun ». En cela, l’autorité ne peut être comprise que comme un service indispensable. La compréhension chrétienne de l’autorité n’est pas non plus fondamentalement différente. Nous trouvons cela dans l’Évangile de Jésus-Christ lui-même, dans le contexte de l’épisode où deux des Apôtres aspirent à de hautes places à sa droite et à sa gauche dans le Royaume (cf. Mt 20, 25-28 ; Mc 10, 42-45). Jésus, après leur avoir expliqué ce que signifie réellement l’autorité et comment elle doit être exercée, le leur montra encore au moyen d’un exemple concret, « leur lavant les pieds et leur demandant d’en faire autant » (Const. 159,1).

Quant au « bien commun », le christianisme l’entend dans un sens particulièrement ample. Pour le christianisme, le bien commun servi par l’autorité ne se comprend qu’en tenant compte du but vers lequel il est orienté. Le but est d’aider chacun à mener une vie de salut. Car le but ultime de toute autorité chrétienne, y compris celle du Christ, comme l’indique succinctement saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens, est de soumettre tout le monde et toute chose à Dieu, afin qu’à la fin « Dieu soit tout en tous » (1 Cor 15,24s).

C’est le plan de Dieu qui achève finalement le processus du salut ainsi que le but de la création. C’est ce qui a été envisagé par Dieu dès le commencement, et ce sera l’eschaton, le plein aboutissement de la création. C’est en vue de la réalisation de cet eschaton que l’autorité chrétienne est véritablement exercée. Avec l’avènement du Royaume de Dieu initié par le ministère de Jésus-Christ (Lc 11, 20), l’eschaton a déjà commencé et on n’attend plus que le jour de son dénouement final.

1. Autorité ecclésiale et religieuse

Toutefois, le Royaume de Dieu prêché et établi par Jésus existe comme une communauté d’alliance, c’est-à-dire que ceux qui acceptent la règle divine s’unissent et acceptent de vivre comme disciples du Christ dans une communauté. C’est ce que nous appelons l’Eglise. Alors que la réponse individuelle au Royaume de Dieu est de la première importance, la fonction de l’autorité dans cette communauté est essentiellement d’aider les individus à donner la juste réponse aux appels du Royaume de Dieu, et ainsi d’atteindre le but envisagé lors de l’acceptation de ce don du Royaume.

Dans la communauté d’alliance établie par le Christ, qui est l’Eglise, l’amour est la loi suprême et la communauté chrétienne vit essentiellement de la loi de l’amour, comme le Christ lui-même l’a nettement explicité (Jn 15,12).

Pourtant, en tant que communauté humaine, elle a besoin d’autorité, comme toute autre communauté sur terre. Pour cette raison, ceux qui se voient confier spécifiquement l’autorité, doivent la rendre comme un service nécessaire, au nom de Jésus-Christ. Le rôle de l’autorité apparaît particulièrement lorsque des tensions surgissent entre les idéaux du Royaume qui sont donnés à vivre et la réponse concrète des membres qui peinent à les atteindre. L’autorité intervient alors pour garantir la permanence des idéaux et objectifs du Royaume de Dieu. Elle use pour cela à la fois de la parole et de l’exemple. Les figures d’autorité doivent pour cette raison être de véritables modèles « communiquant l’esprit et la vie par l’exemple et par la parole » (Const. 159,4).

Bien que l’autorité soit nécessaire à toute société, nous devons cependant souligner que dans l’Église et la vie religieuse, son exercice y est profondément différent. Elle n’y est ni absolue, c’est-à-dire de type monarchique, ni relative, c’est-à-dire démocratique au sens d’une règle édictée par la majorité. La distinction à établir ici n’est pas entre la première manière qui serait hiérarchique et l’autre qui serait participative, car elles peuvent toutes deux être hiérarchiques et participatives. L’autorité est hiérarchique si l’une ou la majorité des personnes qui gouvernent est considérée comme étant directement investie de l’autorité divine ; elle est participative, si l’autorité est exercée par un ou quelques membres, tout en reconnaissant l’autonomie intrinsèque et l’égalité de toutes les personnes.

Alors que le style d’autorité monarchique est clairement connu comme ne convenant pas à l’Église, l’autorité participative ne peut pas être davantage considérée comme un idéal. Car, même si l’autonomie et l’égalité des personnes sont prises en compte et que l’autorité participative est invoquée, l’autorité ecclésiale et religieuse doit encore prendre en compte le message sans compromis de la Parole de Dieu, le message du Verbe-fait-chair, qui a « les paroles de la vie éternelle ». Dans l’Église, Jésus-Christ est la plus haute et la plus importante autorité. L’autorité ecclésiale et religieuse ne peut finalement être autre que celle de Jésus-Christ lui-même, en qui nous est révélé le mystère de la volonté de Dieu pour notre salut (Const. 158,2).

Il convient encore de relever un autre point au sujet de l’autorité ecclésiale et religieuse. Si l’autorité n’est pas partagée par tous les membres de la communauté, la responsabilité du Royaume de Dieu et l’appel à vivre ses exigences l’est certainement (Const. 162,1). Tous les membres avec ou sans autorité partagent autant la responsabilité de l’Église et de la vie religieuse. Car tous se voient chargés de l’imprescriptible devoir d’entendre la Parole de Dieu et le Verbe-fait-chair et d’y conformer leur propre vie. Tous doivent écouter le Saint-Esprit leur parler dans les circonstances concrètes où ils se trouvent et auront finalement à répondre eux-mêmes des conséquences de leurs décisions (Const. 9,3 ; 158,6).

2. Le service des ministres et gardiens

Dans la vie religieuse, le rôle de celui qui se voit confier l’autorité est de servir d’instrument pour interpréter la volonté de Dieu pour la communauté. Les personnes détenant l’autorité ne possèdent toutefois aucun charisme particulier garantissant justesse et infaillibilité. Une recherche sincère et sérieuse de la volonté de Dieu dans la communauté avec la participation de tous les frères est par conséquent impérative. C’est à travers une prière intense et un discernement prudent qu’ils doivent constamment rechercher ensemble et s’enquérir de la volonté de Dieu (160,2 ; 162,1).

Sachant bien que l’autorité n’est pas une fin en soi mais juste un moyen de servir et de faire avancer le Royaume de Dieu, les ministres et les gardiens doivent être réceptifs et encourager la libre contribution de nouvelles idées par chaque frère, avant de prendre une décision finale. C’est le seul moyen de nous conduire tous à une coopération responsable dans la conduite de la vie religieuse, dans la recherche du bien de toute la fraternité. En vertu de leur fonction, ceux qui détiennent l’autorité prennent bien sûr la décision ultime et sont absolument responsables devant Dieu à cet égard : nul ne saurait échapper à une fidèle remise des comptes de l’intendance qui lui a été confiée (Const. 160,3).

Il s’ensuit que les ministres et les gardiens eux-mêmes doivent être dociles à la volonté de Dieu dans l’exercice de leur fonction. Ils doivent utiliser l’autorité, comme nous l’avons dit, uniquement « dans un esprit de service pour leurs frères, de manière à exprimer l’amour que le Seigneur a pour eux » (Perfectae Caritatis, 14). Leur gouvernement des frères doit pouvoir être considéré comme celui qui convient aux enfants de Dieu. Ils doivent donc respecter leur personnalité humaine et leur donner les moyens d’obéir librement et volontiers (Const. 162,2). Ils doivent exercer un genre de direction qui encouragera les frères à répondre par une obéissance active et responsable aux fonctions qu’ils ont à assumer et aux activités qu’ils ont à entreprendre (Ibid.).

Les ministres et les gardiens ont également le grave devoir, et c’est en fait leur responsabilité première, d’assurer la fidélité des frères au charisme de notre fondateur saint François. C’est à vrai dire l’essence même du rôle des ministres et des gardiens. Il n’y a rien de plus pressant ni aucun domaine d’administration qui puisse l’emporter sur cette priorité d’inspirer aux frères la fidélité au charisme et de les soutenir dans la poursuite de la mission propre de l’Ordre. C’est pourquoi la promotion de la connaissance du charisme franciscain capucin (161,3) et l’observance fidèle de notre règle et de nos constitutions (161,3) doivent être considérées comme leurs plus hautes priorités.

Dans l’exercice de leur fonction, les gardiens doivent montrer un souci empressé de leurs frères et de toutes choses (160,1). Ils sont aussi invités à aborder les lacunes et les omissions de la fraternité lors des chapitres locaux (163,4). Par ailleurs ils ont pour mission de protéger, promouvoir et favoriser la vie fraternelle à travers un dialogue sincère, et d’exhorter, d’encourager et corriger charitablement les frères dans leurs éventuels manquements en une discussion fraternelle (163,3). Ils doivent enfin veiller à ce que les fraternités soient modelées par les enseignements de l’Évangile de la miséricorde (163,1). Les ministres, de leur côté, ne doivent pas imposer de commandements en vertu de l’obéissance, à moins que la charité ne l’exige (163,2).

Nous pouvons ainsi déduire de tout cela quelle est la caractéristique principale de l’autorité des ministres et des gardiens : c’est de partager l’autorité avec les frères, en faisant place à leur initiative personnelle, à l’invention et à l’expérimentation, et à la responsabilité dans leur participation au travail de la communauté, plutôt que de tout centraliser sur eux-mêmes (cf. Ecclesiae sanctae, 18-19). Car l’autorité ne doit pas être exercée isolément, mais plutôt répondre au principe de subsidiarité, de consultation et de responsabilité mutuelle. Dans la fraternité, chaque membre non seulement peut, mais doit jouer un rôle actif dans chacun des aspects de sa vie et de son ministère afin de le rendre fructueux. Il va sans dire que pour réaliser tout cela tout en étant dans l’autorité, les religieux en position d’autorité ont grandement besoin d’une formation sérieuse en gestion des ressources humaines, administration et relations personnelles.

B. OBEISSANCE CHRETIENNE

Le concept d’obéissance chrétienne découle naturellement de la compréhension de l’autorité chrétienne. L’obéissance que vivent les chrétiens n’est jamais réellement accordée à aucune autorité humaine mais elle est due à Dieu seul, en et par Jésus-Christ. En effet, par le baptême, les chrétiens sont intégrés dans le Corps du Christ et deviennent enfants adoptifs de Dieu. Le Christ est la tête et tous en sont les membres. En tant que chrétiens, c’est donc la vie même du Christ que vivent tous les chrétiens. Par conséquent, leur obéissance est la même que celle du Christ, en raison de leur union intime avec le Christ. Car, dans un corps, tous les membres doivent vivre comme une seule unité. Leur esprit et leur cœur doivent être identiques à ceux du Christ ; en d’autres termes, tous les chrétiens obéissent comme le Christ. Sinon, ce ne serait pas une véritable obéissance chrétienne.

Nous pourrions nous demander à présent : quelle était l’obéissance du Christ ? la réponse nous est donnée par l’auteur de la Lettre aux Philippiens : « ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». (Ph. 2. 5-8)

Ainsi, le Christ, bien qu’étant divin, ne s’est pas agrippé à son égalité avec Dieu ; il s’est plutôt humilié et s’est soumis à son Père. Il l’a fait à travers divers intermédiaires de ce monde, c’est-à-dire diverses personnes, événements et institutions religieuses, sociales et liturgiques. Il a compris ces réalités créées limitées comme manifestant la volonté de Dieu, et la soumission à elles comme une soumission à Dieu.

L’obéissance chrétienne ou la soumission à Dieu n’est donc pas autre chose que l’obéissance du Christ. En fait, c’est là la vraie clé pour comprendre le vœu d’obéissance religieuse. Parce que nous sommes enfants de Dieu, nous ne sommes soumis à aucun être humain ni à aucune institution créée, ni même à aucune autorité humaine. En tant qu’enfants de Dieu, nous ne pouvons même consentir à obéir à quelque autorité humaine que ce soit. Mais si nous obéissons aux personnes humaines en autorité, c’est parce qu’elles sont les instruments par lesquels l’autorité de Dieu s’exerce sur nous (Const. 165,5). Plus précisément, si nous leur obéissons, c’est parce que nous voulons obéir à Dieu, exactement comme le fit Jésus-Christ. Ce faisant, nous entrons dans le mystère même de celui qui a obéi à Dieu « devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ».

Evidemment, dans une telle perspective, le regard de la foi est absolument nécessaire. Il s’agit bien en effet de croire que notre obéissance est l’obéissance du Christ et que la volonté de Dieu nous est révélée à travers les réalités créées par Dieu. Vita consecrata (VC) explique que « l’obéissance, pratiquée à l’imitation du Christ, dont la nourriture était de faire la volonté du Père (cf. Jn 4, 34), manifeste la beauté libérante d’une dépendance filiale et non servile, riche de sens de la responsabilité et animée par une confiance réciproque » (cf. VC, 21).

Nous devons comprendre en outre que dans la communauté chrétienne, ni l’obéissance ni l’autorité ne peuvent être comprises dans un sens individualiste. En effet, aussi bien l’autorité que l’obéissance sont à attribuer à la tête (l’autorité) et aux membres (les fidèles) dans la mesure où tous deux (la tête et les membres) ne forment qu’un seul corps et sont appelés ensemble à discerner et à découvrir la volonté de Dieu et à y obéir. Cela se réalise tout d’abord, en s’efforçant d’acquérir les dispositions du Christ et en prenant connaissance de ce qu’il aime et de ce qu’il n’aime pas ; par suite, en veillant à ce que les décisions et les choix entérinés soient des décisions et des choix du Christ lui-même. De cette manière, nous savons avec certitude que l’obéissance que nous rendons à Dieu n’est pas tant la nôtre que celle du Christ lui-même.

Cette compréhension de l’obéissance a encore d’autres conséquences pour nous religieux. Vivant comme nous le faisons en fraternité, nous comprenons que notre obéissance religieuse est à vrai dire une attitude et une vertu de toute la fraternité, qui forme une unité dans le corps mystique du Christ. Dans notre vie, la recherche de la volonté de Dieu (Const. 160,2) ne se fait jamais uniquement individuellement mais toujours aussi en et comme fraternité.

À cette fin, comme nous l’avons dit, les frères doivent inspirer les ministres et les gardiens en leur donnant leurs idées, leurs opinions et toute information utile ; les ministres et les gardiens, de leur côté, connaissant bien leur devoir de comprendre objectivement la situation de toute la fraternité, peuvent alors prendre des décisions pour celle-ci dans son ensemble (Const. 166,1). De cette manière, le résultat final est toujours une décision qui ne vient ni de l’autorité ni des frères, mais de tous ensemble dans la mesure où tous sont résolus à ne faire que ce qui plaît à Dieu (Const. 158,7). En ce sens, la position fondamentale des ministres, des gardiens et des frères est en fait unique : c’est une position de pure et simple obéissance. L’obéissance n’est donc pas tant une vertu individuelle que communautaire.

1. Valeur de l’obéissance

Nous devons en dire davantage sur la valeur réelle du vœu d’obéissance. Dans la vie religieuse, la valeur de l’obéissance ne réside pas principalement dans une plus grande efficacité organisationnelle et apostolique, même si l’efficacité organisationnelle et apostolique doit beaucoup de son succès à la réalité de l’obéissance. On ne peut pas dire non plus que la valeur de l’obéissance repose sur la seule prudence humaine de soumettre sa décision à un dirigeant ou à un conseiller avisé, bien que recevoir aide et conseils aussitôt que nécessaire soit bien-sûr recommandé. L’obéissance ne se justifie pas davantage par le besoin de sécurité éprouvé par certains, trop timorés pour décider par eux-mêmes. L’obéissance est en revanche préconisée à ceux qui aiment et respectent leurs ministres (Const. 166,1) et sont actifs et responsables (Const. 12,2).

La vraie valeur de l’obéissance, individuelle comme communautaire, réside au fond dans le fait que nous devons exécuter le plan que Dieu a prévu pour nous, êtres humains. Le plan ou la volonté de Dieu à notre égard est à la fois temporel et éternel. Alors que la dimension temporelle renvoie ici et maintenant à la vie menée comme être-humain et comme religieux, la dimension éternelle concerne notre vie à venir, la vie de salut en Dieu. Ces deux dimensions constituent ensemble notre participation vitale et notre coopération à l’histoire, afin que « Dieu soit tout en tous ».

2. Le défi de la liberté dans l’obéissance

Dans une discussion sur le thème de l’obéissance, il serait impossible de considérer celle-ci séparément de la notion de liberté. En effet, toute discussion sur l’obéissance suscite invariablement la conviction théologique simultanée et profonde de l’inaliénabilité de la liberté et de la responsabilité humaines. Puisque la promotion de la liberté est une valeur authentique, en tant qu’elle est étroitement liée à la dignité de la personne humaine, nous devons déterminer clairement si cette même liberté est compatible ou non avec la réalité de l’obéissance (VC 91).

Du point de vue religieux, nous devons affirmer que la liberté humaine est un chemin d’obéissance à la volonté de Dieu et c’est sur ce chemin que la liberté humaine atteint son véritable but (Const. 158,1-2). Qu’il suffise pour s’en convaincre de regarder l’obéissance de Jésus-Christ. Son obéissance totale au point de donner sa vie pour faire la volonté de son Père confirme qu’« il n’y a pas de contradiction entre l’obéissance et la liberté ». Jésus révèle que le mystère de la liberté est mieux compréhensible à partir de la voie de l’obéissance à la volonté de Dieu. Qui ignore en effet l’existence d’usages abusifs ou déformés de la liberté mis en évidence par toutes sortes d’injustice, de corruption, de cruauté, de criminalité, de violence, d’actes répréhensibles, etc. ? D’autre part, c’est l’obéissance à la justice, l’honnêteté, la vérité, l’amitié, la paix et l’harmonie, etc. qui nous conduit sur le chemin qui mène peu à peu à la victoire de la liberté véritable. C’est à cette victoire de la liberté que tous les religieux rendent en dernière analyse un témoignage généreux par leur vœu d’obéissance (VC 91).

Naturellement, il n’existe pas de liberté absolue. Toute liberté nécessite un compromis entre les droits de l’individu et les buts et obligations de l’autorité dirigeante dans le but de mener une vie sereine dans la fraternité. C’est précisément la raison pour laquelle chaque société ou institution a des lois, des règlements et des déclarations judiciaires pour régir la vie de la liberté, sans lesquels la liberté pourrait bien n’être jamais correctement comprise ni vécue humainement.

3. L’obéissance religieuse des frères

Même si cela est évident, rappelons-nous une fois de plus que l’objectif principal de l’obéissance dans la vie religieuse est de nous conformer au plan d’amour de la volonté salvifique de Dieu révélée en Jésus-Christ, qui « durant toute sa vie déposa sa volonté dans la volonté du Père » (Const. 165,1). Les frères cherchent donc à connaître le dessein de Dieu et à découvrir sa volonté en faisant des progrès continus dans la compréhension de l’Évangile, loi suprême dans toutes les circonstances de la vie (Const. 1,4-5), dans l’étude de la Vie, la Règle et le Testament de notre fondateur et père saint François, et dans la familiarisation avec nos Constitutions franciscaines capucines révisées pour savoir comment mieux observer la Règle (Const. 9,1) et vivre selon la forme du saint Évangile (Const. 1,3).

Les frères, de même, ne doivent jamais oublier que l’obéissance en tant que telle est due à un Dieu aimant et personnel et non à une loi froide et impersonnelle, et moins encore à un impitoyable règlement. L’obéissance religieuse exclut une autorité qui ferait des frères des espèces d’automates ou d’instruments passifs du jugement et de la décision de l’autorité. Cela se produit lorsque la vie est réglementée par des détails insignifiants, l’imposition d’exercices déraisonnables, des demandes d’autorisation expresse pour les tâches régulières et ordinaires de la vie quotidienne, le refus d’un champ d’initiatives raisonnable et adulte, ou une mainmise sur des actes qui devraient être laissés à tout adulte mature et responsable.

L’obéissance religieuse des frères est en effet parfois un sacrifice, une mort à sa volonté propre et à ses idées personnelles (Const. 166,3). Mais c’est aussi une véritable montée vers la vie nouvelle de la liberté des enfants de Dieu (Const. 158,3). La véritable obéissance basée sur la docilité à l’Esprit Saint a un pouvoir libérateur. En Christ, l’obéissance nous libère même des entraves de notre propre égoïsme et de notre servilité à la loi. Les règles sont donc nécessaires ; elles doivent également être respectées et obéies ; mais les frères doivent être également prévenus contre le légalisme qui étouffe la personnalité, et le libéralisme qui l’avilit. Ce sont en effet tous deux des extrêmes !

Vivre une vie d’obéissance parfaite selon la Règle et les Constitutions, qui fournissent des repères pour vivre la vie religieuse selon le charisme spécifique de notre Ordre, peut parfois être difficile pour certains frères dans certaines situations concrètes de la vie. Les frères, qui trouveraient difficile pour une raison valable d’observer la Règle, doivent en toute confiance recourir aux ministres pour résoudre leur problème. Les ministres, pour leur part, doivent seulement être disposés à les aider dans un amour fraternel (Const. 167). Par ailleurs, dans une fraternité, la vie d’obéissance suppose des relations bonnes et fraternelles. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l’obéissance aux ministres en autorité. Par conséquent, il est impératif que l’amour et le respect mutuels marquent toujours la relation entre les frères et les ministres/gardiens.

Dernier point mais non le moindre, on doit disposer d’un espace généreux pour la reprise critique dans la vie de religieux adultes, qui vivent dans un esprit d’obéissance en vue de la liberté et de la joie des enfants de Dieu. Cependant, il faut faire une distinction importante entre la critique qui ne fait qu’engendrer une complainte amère, non charitable et destructrice et une autre qui permet une obéissance positive et constructive. Cette dernière est le fruit d’un esprit sincère, mûr et éduqué et elle doit être cultivée par tous les moyens. C’est une réalité qui exige que soit accordé suffisamment de place à la liberté d’expression écrite et orale dans la vie religieuse.

C. CONCLUSION

La compréhension théologique de l’Église et de la vie religieuse ayant été largement réinterprétée de nos jours, le sens et la pertinence des vœux ont également été revus en conséquence. Nos nouvelles constitutions ont réinterprété la vie du vœu d’obéissance d’une manière cohérente avec la tradition ainsi qu’avec l’expérience contemporaine des tendances personnalistes. Si l’autorité et l’obéissance sont correctement comprises, il n’y a aucun doute que le résultat final sera : des ministres et des gardiens rendant droitement le service de l’autorité aux frères, et des frères se soumettant joyeusement à faire ce qui plaît à Dieu seul (Const. 158,7).

Fr. Andrew Anil Sequeira OFMCap

Dernière modification le mardi, 07 juillet 2020 14:04